Yannick Rieu MachiNations

Voyage en cosmopolitisme : Yannick Rieu MachiNations

Chacun sait que l’on peut voyager dans l’espace.

Mais on peut aussi voyager en autrui, en se transportant dans la pensée et dans l’imaginaire d’un autre, réel ou imaginé, jusqu’à connaître intimement ses espérances, ses chagrins, ses peurs, ses désirs.

On peut encore voyager dans le temps et visiter une époque, peut-être lointaine, voire même qui n’a jamais existé.

Tout cela se fait comme par magie. Une magie appelée art.

L’artiste est justement quelqu’un qui organise, qui planifie de tels voyages. Il les fait bien entendu lui-même avant de nous les proposer.

Certains artistes le font avec des mots, d’autres avec des images.

D’autres encore, comme Yannick Rieu, font voyager avec des sons.

Ces voyages ne sont pas sans risque, ni pour l’artiste ni pour le voyageur qui accepte de l’accompagner.

C’est que l’artiste n’aime guère cette monotonie du déjà vu et refuse donc de faire plusieurs fois le même sage voyage. Il prend au contraire des risques et s’aventure sans cesse vers des territoires inconnus de nous comme de lui.

C’est exemplairement le cas ici, dans cet album merveilleux — merveilleux mais aussi étonnant pour quiconque a voyagé avec Rieu durant toutes ces années.

C’est un voyage par lequel on se rappelle que la musique est universelle, faite par tous et pour tous, un voyage en ce lieu où Rieu lui-même n’a sans doute jamais cessé d’aller à la rencontre de toutes ces musiques dont lui-même et sa musique sont intimement, profondément faits. Il nous offre cette fois le cadeau d’accéder à ce lieu singulier où, comme vous le découvrirez bien vite, le plus personnel rejoint l’universel et s’y mêle au point de s’y confondre, mais sans rien perdre de ce qu’il a de plus vrai et de plus intime.

Votre voyage, comme il se doit, commence en Afrique, notre commune originelle demeure. Il commence dans une Église de brousse, là où sont nés des rythmes appelés à se marier à des harmonies et à engendrer le jazz.

Puis il se déploie dans le temps, dans l’espace, dans la pensée et dans l’imaginaire, avec autant de finesse que de sensibilité et porté par cette virtuosité sans pose ni artifice qui ne fait jamais défaut à Rieu et que connaissent bien ceux et celles qui depuis toujours voyagent avec lui.

En ces temps que trouble pour l’art et les artistes la délicate question du métissage, des emprunts, des fréquentations et des rencontres,  les MachiNations se portent, sans mot dire, à la défense de ce territoire où, par-delà les controverses, l’intimité devenue universelle est reconnue comme telle par chacun, dans ce cosmopolitisme qui est une de ces choses dont le monde a aujourd’hui le plus cruellement besoin.

Rabindranath Tagore a mieux que quiconque dit ce que ce splendide album fait comprendre et ressentir au terme du généreux voyage qu’il propose :  «Aussitôt que nous comprenons et apprécions une production humaine, elle devient nôtre, peu importe sa provenance. Je suis fier de mon humanité quand je peux reconnaître et apprécier les poètes et les artistes de pays autres que le mien. Qu’on me laisse goûter cette joie sans mélange de savoir que sont miennes toutes les grandes gloires de l’humanité.»

Bon voyage.

Normand Baillargeon

Philosophe, écrivain